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Crise agricole Des réactions diverses aux annonces de Bruxelles

La Confédération paysanne considère l’« Europe toujours irresponsable », la Coordination rurale juge qu’elle « a accouché d’une souris ». La FRSEA et JA Bretagne ne peuvent se réjouir des annonces. Les chambres d’agriculture prennent acte pour le court terme. Seul le Copa-Cogeca considère que la Commission a fait un « un pas dans le bon sens ».

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Dans un communiqué de presse diffusé ce 15 mars 2016, en réaction aux mesures annoncées la veille après le conseil des ministres européens de l’Agriculture, la Confédération paysanne assure que « pour une politique laitière solidaire et européenne, [elle continuera] à [se] battre face à l’irresponsabilité des décideurs politiques, à l’aveuglement idéologique de technocrates et aux intérêts financiers de multinationales agroalimentaires et autres acteurs du commerce mondial. La régulation est et restera la seule solution à la crise ! »

Pour le syndicat, « le couple franco-allemand a entériné, une fois de plus, l’orientation libérale de l’Union européenne : on régule le marché par la disparition de paysans et non par une réduction concertée de la production. Les potentielles mesures de réduction volontaire de la production, gérée de surcroît pays par pays, financent en fait un véritable plan de licenciement et de concentration orchestré au niveau de la production. Le relèvement des aides de minimis et l’absence de mesures concertées entre pays confirment que la politique européenne actuelle […]. ».

« À quoi bon observer ? »

Quant à la Coordination rurale, elle juge que « la montagne de l’Union européenne (UE) vient d’accoucher d’une souris. Derrière les effets d’annonce, il faut se rendre à l’évidence : les mesures formulées par le commissaire Phil Hogan ne portent aucune solution pour arrêter la catastrophe qui touche l’agriculture française, mais aussi européenne. L’aide au stockage, l’intervention et l’aide à l’export sont des mesures habituelles et usées, sans aucun effet structurel. La liberté laissée aux pays d’organiser une réduction momentanée du lait est une pantalonnade indigne d’une Commission européenne. »

Quant à la mise en place d’un observatoire des viandes porcines et bovines, le syndicat considère qu’elle « confirme la stratégie de Phil Hogan qui repose sur l’immobilisme afin de laisser le marché poursuivre son œuvre de destruction de l’agriculture. À quoi bon observer si l’on ne se donne pas les moyens d’intervenir […] ? L’étiquetage de l’origine des produits, qui est bien la seule victoire de Stéphane Le Foll, apparaît dérisoire quand on sait qu’il s’agit là uniquement d’une autorisation qui serait accordée temporairement à la France afin d’expérimenter le dispositif d’information des consommateurs. »

« Phil Hogan a enfin ouvert les yeux »

Pour JA, « Phil Hogan a enfin ouvert les yeux ». Le syndicat appuie « vivement la mise en œuvre des dispositifs temporaires permettant, sur base d’accords volontaires, de réguler l’offre pour le secteur laitier, via les organisations de producteurs, les organisations interprofessionnelles ou les coopératives. […] Cependant, le caractère volontaire de ces mesures ne doit pas inciter des entreprises ou des États membres à croire que d’autres « feront la régulation » pendant qu’eux-mêmes en tireront profit », prévient JA, appelant à « une mise en œuvre concertée » de cette mesure « sur tout le territoire européen ».

L’organisation syndicale se félicite aussi du doublement des plafonds de stockage pour les produits laitiers et de « la mise en place d’un nouveau programme d’aide au stockage privé pour le secteur porcin. L’autorisation temporaire donnée aux États membres leur permettant de distribuer jusqu’à 15 000 euros d’aide par an et par agriculteurs d’aides nationales (sans plafond national) est aussi une bonne nouvelle : même s’il s’agit souvent d’aides d’urgence, cela donne une marge de manœuvre supplémentaire aux États pour soutenir les agriculteurs en difficulté. »

«Une première fissure dans le dogme libéral ? »

De son côté la FNB (Fédération nationale bovine) s’interroge sur l’attitude de la Commission et sa découverte de la crise. « Info ou intox ? lance-t-elle dans son communiqué de presse du 16 mars. Y aurait-il enfin une première fissure dans le dogme libéral de la Commission ? Réguler le marché de la viande bovine par la faillite des éleveurs ne serait donc plus l’unique solution… L’observatoire de la viande bovine servira de baromètre instantané pour mesurer l’impact sur notre secteur de la dérégulation du secteur laitier à la suite de la fin des quotas. Pour autant, aucune mesure concrète pour améliorer la situation des éleveurs n’a été annoncée. »

Le syndicat rappelle qu’elle s’est « toujours inscrite dans une dynamique d’exportation considérée comme un puissant levier, source d’emploi et de création de valeur pour l’ensemble de la filière. La Commission a pris conscience de la nécessité d’accompagner cette dynamique par des crédits d’exportation, ce qui doit se traduire le plus rapidement possible par des mesures concrètes. La FNB, dans le même temps, n’oublie pas que la Commission s’est engagée dans une série de négociations commerciales « tous azimuts » au mépris de notre modèle vertueux d’élevage et des attentes sanitaires, sociales et environnementales exprimées par les consommateurs européens. »

« La régulation des volumes fait son chemin »

Dans un communiqué de presse conjoint, la FRSEA et JA Bretagne disent qu’il leur « est impossible [de se] réjouir des annonces, comme le font nos décideurs français et européens. Trop d’incertitudes persistent sur les modalités d’application des mesures. » Ils apprécient toutefois l’obtention de « l’expérimentation par la France de l’étiquetage d’origine obligatoire des viandes et du lait dans les produits transformés. L’année à venir doit être mise à profit pour démontrer sa faisabilité et convaincre l’Union européenne d’étendre cette obligation partout en Europe et à toutes les entreprises. En attendant, nous demandons aux distributeurs d’imposer à leurs fournisseurs de les approvisionner uniquement en produits étiquetés. »

Les deux syndicats apprécient également que « la régulation des volumes produits, inenvisageable il y a quelques semaines, fait son chemin. La gestion volontaire de la production proposée risque cependant d’être insuffisante. Nous doutons de l’efficacité d’un tel dispositif fondé sur le volontariat, sans précision ni des volumes, ni du financement de cette mesure. Il convient par ailleurs de tenir compte des responsabilités de chaque pays dans la surproduction. La France qui n’est, elle, pas responsable. »

« Une régulation européenne en instaurant des prix minimum garantis »

Le Modef « ne peut pas se satisfaire d’une régulation des volumes basée sur le volontariat. Comment peut-on espérer que les pays du Nord de l’Europe puissent envisager de s’y plier alors qu’ils se sont prononcés contre cette mesure ? »

Dans ce contexte, le syndicat « demande en urgence une régulation européenne en instaurant des prix minimum garantis couvrant les coûts de production et surtout la rémunération du travail des paysans. Pour obtenir ce dispositif, l’intervention des pouvoirs publics est indispensable pour maîtriser les volumes de production en adaptant la production à la demande. Or, avec la contractualisation, les pouvoirs publics ont totalement privatisé la politique laitière, dont les industriels ont désormais toutes les cartes en main ». Le Modef « revendique un encadrement des marges des industriels et de la grande distribution avec le coefficient multiplicateur ».

« La majeure partie des autres mesures annoncées par Phil Hogan sont des aides à l’exportation. Le Modef a toujours prévenu des dangers des filières basées sur l’exportation où un débouché n’est jamais assuré et où la concurrence mondiale pousse à toujours faire moins cher sans aucune prise en compte de l’humain », explique le syndicat.

« L’augmentation des volumes à l’intervention ne suffit pas »

Dans son communiqué de presse, l’APCA (Assemblée permanente des chambres d’agriculture) considère que « certaines des mesures annoncées vont dans le bon sens, notamment l’augmentation du plafond de minimis et la dérogation provisoire aux règles de la concurrence en période de crise, permise par l’article 222 de l’OCM unique. La balle est désormais dans le camp des opérateurs. »

Concernant les annonces sur l’intervention, l’APCA considère que « pour le court terme, l’augmentation proposée des volumes à l’intervention ne suffit pas. Nous l’avons dit à plusieurs reprises : l’efficacité du système d’intervention doit impérativement reposer sur un relèvement des prix d’intervention. » Et pour l’Observatoire du marché de la viande, les chambres d’agriculture estiment qu’il faudrait le doter « d’un outil permettant d’alerter presqu’en temps réel d’une situation de crise à venir ou en cours ».

Bruxelles aurait dû agir plus vite

Quant à Momagri, le Mouvement pour une organisation mondiale de l’agriculture, il doute de l’efficacité des mesures de maîtrise de la production laitière annoncées par Phil Hogan. « L’article 222 [de la Pac] autorise la Commission à l’imposer à tous. De plus, aucune précision n’est faite sur le budget mobilisable pour rendre attractif le dispositif. Dès lors on ne peut que douter de l’efficacité des mesures : il y a fort à parier que bon nombre de pays et d’entreprises productrices jouent les « passagers clandestins », en trouvant toutes les excuses pour ne pas contribuer à l’effort collectif d’assainissement du marché. »

L’organisation n’hésite pas à réclamer la démission du Commissaire européen à l’agriculture, estimant qu’il « a commis une grave erreur politique en mettant plus de six mois à proposer d’activer une réglementation adoptée en décembre 2013. La Commission européenne dispose de trop rares leviers pour sortir de la crise, elle tarde à les appliquer et surtout elle les dénature en les rendant facultatifs pour en limiter la portée. Faute d’une action plus volontariste, la crise mettra plus de temps à être enrayée, et c’est le projet européen dans son ensemble qui sera une nouvelle fois contesté et affaibli ! »

Pour sa part, la FGA-CFDT « se félicite des mesures concrètes prises pour agir sur la surproduction et de l’accord de principe accordé à la France pour expérimenter l’étiquetage de l’origine des viandes et du lait dans les produits transformés. Elle reconnait que l’alimentation est un secteur stratégique, soumis à de forts mouvements des marchés, pour lequel le maintien d’outils publics de régulation est important. Cependant, la régulation ne doit pas suppléer aux mesures d’anticipation qui n’auraient pas été prises en temps et en heure ».

Attendre la concrétisation des annonces

De son côté, le Copa-Cogeca qualifie les mesures annoncées d’un « pas dans la bonne direction » face à des marchés en crise. « Mais attendons de voir ce qu’il produira dans la pratique, tempère Martin Merrild, le président du Copa. De nombreux agriculteurs sont confrontés à la plus sévère crise depuis le début des années quatre-vingt. Les secteurs européens du lait et de la viande porcine sont exsangues, car ils ont été touchés de plein fouet par la perte de notre principal marché d’exportation, la Russie […]. Rouvrir le marché russe le plus rapidement possible est dès lors essentiel. »

Le président du Copa regrette toutefois que certaines mesures, celles qui relèvent des États membres, « éloignent de la politique commune européenne […]. J’enjoins les ministres d’accélérer les paiements prévus dans le paquet de 500 millions d’euros qui avait été décidé au mois de septembre […], étant donné que ces aides n’ont été jusqu’à présent que partiellement versées aux agriculteurs. » Le Copa-Cogeca accueille aussi très favorablement le doublement des plafonds d’intervention pour les produits laitiers, mais déplore « l’absence d’un redressement temporaire du prix européen d’intervention ».

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